Victor HUGO
Les Misérables. Première partie : FANTINE | Deuxième partie : COSETTE | Troisième partie : MARIUS | Quatrième partie : L'IDYLLE RUE PLUMET ET L'EPOPEE RUE SAINT-DENIS | Cinquième partie : JEAN VALJEAN.
Paris, Pagnerre, libraire-éditeur, 1862 [A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, à Bruxelles]
5 parties en 10 volumes in-8 (23 x 15,5 cm) de (6)-405, 443-(1), (4)-358, (4)-318, (4)-320, (4)-297, (4)-432, (4)-399, (4)-400 et (4)-311 pages. Collationné complet.
Reliure strictement de l'époque demi chagrin rouge vermillon, plats de papier chagriné rouge-orangé, doublures et gardes de papier marbré (reliure signée A. Sudre, relieur à Saintes). Exemplaire très frais. Quelques légers frottements sur les coupes et quelques légères marques sans gravité. Intérieur très frais avec les rousseurs éparses habituelles mais peu présentes dans la majeure partie des volumes.
Edition originale (mixte).
Notre édition est composée comme suit : les deux premiers volumes, à savoir Fantine, sont avec mention de deuxième édition sur les titres, et bien que les titres ainsi que la préface soient de l'impression parisienne, le texte est celui imprimé à Bruxelles par A. Lacroix et Verboeckhoven et Cie. Ainsi contrairement à l'édition parisienne il n'y a pas de table à la fin du premier volume. La table est rejetée à la fin du deuxième volume et sert pour les deux volumes. Cosette et Marius sont de même sans mention d'édition. La Quatrième partie (L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis) portent la mention de sixième édition et les titres sont imprimés en rouge et noir. Jean Valjean est sans mention d'édition. Les volumes imprimés à Paris sortent des presses de Jules Claye.
L'histoire de l'édition originale des Misérables de Victor Hugo a été largement étudiée et décrite dans divers articles et ouvrages. Si l'impression de Bruxelles par A. Lacroix est le plus souvent désignée comme la véritable édition originale, rien n'est moins certain si l'on en croit les intentions et les dires de Victor Hugo lui-même. Le fait que dans notre exemplaire les volumes imprimés à Bruxelles (volumes 1 et 2) et ceux imprimés à Paris soient mélangés dans un même exemplaire relié à l'époque prouve que les volumes avaient rapidement circulé pour finir par ne faire plus qu'une seule et même édition.
Les Misérables ont paru le 30 et 31 mars chez Lacroix à Bruxelles et le 3 avril chez Pagnerre à Paris. Carteret et Vicaire pensaient que l'édition parisienne devait être privilégiée. Vanderem et Clouzot préféraient désigner l'édition belge comme celle qui devait l'emporter. On voit en étudiant notre exemplaire que la typographie et le papier sont différents. La typographie belge est plus aérée et plus dilatée comme l'indiquait lui-même Victor Hugo. Le papier belge est terne et mat tandis que le papier provenant des presses de Jules Claye à Paris est un papier plus fin et satiné.
Le libraire Lacroix écrivait à Victor Hugo : « Mon cher maître, écrivait Lacroix le 30 mars, nous avons tout combiné pour le 4 avril, (…) il faut qu'à Paris l'ouvrage paraisse aussi cette semaine ». De son côté Victor Hugo, le 1er avril, avertissait son éditeur : « on prétend que le livre qui ne peut (…) paraître à Paris que le 7, paraîtra le 3 partout ; de sorte que Paris, cœur du succès, serait servi le dernier. Ce serait là une faute incalculable. Paris servi après tout le monde, c'est le succès attaqué à sa source ». Tandis qu'à Paris, Meurice, Vacquerie et Pagnerre précipitent la parution française pour contrer les belges qui « ont tenté de jouer un tour » aux français, comme le rapporte Adèle à son mari, à Guernesey, Hugo hausse le ton auprès de son éditeur en martelant l'importance de l'édition française : « la simultanéité, bien ; mais s'il devait y avoir une priorité, c'était pour Paris. » (in Eclaircissement sur l'édition originale des Misérables de Victor Hugo, par la librairie Le Feu Follet, consulté en ligne).
On trouve ainsi l'explication de la composition mixte de notre exemplaire : "[...] Le succès est tel pour ces deux premiers volumes que, comme le craignait Victor Hugo, le tirage (6.000 exemplaires selon Hovasse et 7.000 selon L.C. Michel in la revue anecdotique du 15 avril 1862) de Pagnerre est épuisé très rapidement : « Le 6, on eût battu toutes les librairies de la rive gauche et de la rive droite, pour en trouver un exemplaire ». On puise donc 1.000 exemplaires dans les 5.000 exemplaires de Bruxelles destinés au marché belge et étranger, pour créer une fausse « deuxième édition » française qui est en réalité l'édition originale belge avec une nouvelle page de titre. Mais dès le 10 avril, Pagnerre est obligé de réaliser un nouveau tirage, qui sera prêt le 17 grâce aux empreintes prudemment réalisées par l'imprimeur Claye lors du premier tirage. Seules les pages de titre sont réalisées « sur le mobile » en rouge et noir avec des capitales antiques « un des joyaux de son matériel typographique ». En tout, si l'on en croit les chiffres sans doute trop optimistes (d'après Hovasse) de La Revue anecdotique et la correspondance des éditeurs, les différents tirages de cette première partie seront de près de 15.000 exemplaires à l'adresse parisienne et 12.000 à l'adresse bruxelloise. [...]" (in Eclaircissement sur l'édition originale des Misérables de Victor Hugo, par la librairie Le Feu Follet, consulté en ligne).
"[...] Une archive du fonds Victor Hugo nous apprend que l'auteur avait explicitement demandé à Lacroix sur l'épreuve de la page de titre que soient mises en regard les deux éditions bruxelloises et parisiennes sur une page de titre commune : « Je crois qu'il faudrait mettre sur deux colonnes en regard Paris Pagnerre | Bruxelles A. Lacroix en répétant cela sur la double édition de Paris ». Or, même si Lacroix n'a (volontairement ?) pas retenu la proposition (bien qu'il ait pris en compte les autres corrections de la page), la signification de cette note est limpide : pour Hugo, il n'y a pas deux éditions, mais une seule, dont l'impression devait être divisée en deux lieux stratégiques pour des raisons tout à la fois politiques (le risque de censure de ce brûlot magistral), sociales (la diffusion internationale d'une œuvre à portée universelle) et économiques (le risque de contrefaçon du plus grand romancier du XIXe). Georges Blaizot concluait en 1936, que les deux éditions étaient des sœurs jumelles. Il réfutait en cela l'ancienne rumeur prétendant que, dans l'édition parisienne, « un certain nombre de phrases ayant paru dangereuses pour la France, ont été modifiées » (Vicaire). Cette croyance est cependant imputable à une malheureuse erreur de Victor Hugo lui-même qui, le 24 décembre 1865, écrivait à Verboeckhoven : « Il va sans dire encore que si un mot ou une ligne semblait dangereuse pour Paris, il faudrait l'éliminer, comme on a fait pour Les Misérables, édition Claye ». Or Georges Blaizot souligne qu'il s'agit là d'une mauvaise mémoire de Victor Hugo et que, grâce à la relecture attentive de Meurice et Vacquerie, qui « tenaient avant tout à ce que l'édition de Paris ne fût pas inférieure à l'autre », il n'y eut aucune coupe unilatérale. « Victor Hugo aura ignoré ou oublié ce détail. » (Dr Michaux cité par G. Blaizot). (in Eclaircissement sur l'édition originale des Misérables de Victor Hugo, par la librairie Le Feu Follet, consulté en ligne).
Le premier volume des Misérables s'ouvre sur cette très courte et cinglante Préface : « Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. » (Hauteville-House, 1862)
Bien plus qu’un simple roman, les Misérables sont une vaste fresque sociale, historique et philosophique du XIXe siècle. À travers le destin tragique et rédempteur de Jean Valjean, ancien forçat devenu homme de bien, Hugo interroge les notions de justice, de miséricorde, de pauvreté et d’engagement. L'œuvre explore les méandres de la société française après la Révolution, dénonçant l'inhumanité des lois, la misère des classes populaires et les inégalités criantes entre les puissants et les opprimés. Portée par une écriture lyrique et engagée, peuplée de personnages inoubliables comme Cosette, Javert, Gavroche ou Fantine, cette œuvre incarne la foi hugolienne dans le progrès moral et social, et demeure un appel vibrant à la compassion et à la réforme.
Notre exemplaire est remarquable par sa qualité de conservation et sa reliure signée de l'époque. Le petit et humble relieur A. Sudre à Saintes mérite qu'on s'attarde sur sa "petite histoire" reconstituée par nos soins : Né en 1845 à Saint-Palais-sur-Mer, orphelin très jeune, il est relieur dès son mariage en 1872 à Saintes. Déclaré en faillite en 1884, il semble avoir poursuivi son activité à Cognac, où il se remarie en 1904. Il meurt en 1910 à 64 ans, laissant derrière lui non seulement le souvenir d’un ouvrier appliqué, mais aussi deux petits-enfants qu’il élevait, et un cortège ému à ses obsèques civiles, où les libres-penseurs lui rendent un hommage éloquent. De cet homme modeste, resté hors des radars de l’histoire, ne subsistent aujourd’hui que quelques reliures bien faites et le témoignage d’une vie laborieuse, digne et silencieuse. Cet exemplaire des Misérables est comme un témoin solide de son savoir faire et de son existence oubliée.
Bel exemplaire de ce monument de la littérature française.
Prix : 3 500 euros