vendredi 20 juin 2025

1702-1700 | Esope à la cour, comédie héroïque. Par feu M. Boursault. Relié avec Les Fables d'Esope, comédie | 2 ouvrages reliés en 1 volume in-12. Précieux exemplaire relié aux armes du Comte d'Hoym (reliure attribuable à Luc-Antoine Boyet).

Edme BOURSAULT

Esope à la cour, comédie héroïque. Par feu M. Boursault.

A Paris, chez François Le Breton, 1706 [de l'imprimerie de Gilles Paulus du Mesnil, 1702]

(18)-97 pages

Relié à la suite :

Edme BOURSAULT

Les Fables d'Esope, comédie, troisième édition.

A Paris, en la boutique de Théodore Girard, chez Nicolas Gosselin, 1700

(20)-101 pages.

2 ouvrages reliés en 1 volume in-12 (161 x 100 mm | Hauteur des marges : 159 mm) plein veau blond de l'époque, dos à nerfs orné aux petits fers dorés, triple filet doré en encadrement des plats, armes au centre des plats, roulette dorée en encadrement intérieur des plats, doublures et gardes de papier peigne, tranches rouges. Faibles rousseurs éparses et quelques taches rousses. Quelques légères marques et taches à la reliure qui reste très belle et très fraîche. Reliure attribuable à Luc-Antoine Boyet, principal relieur du Comte d'Hoym et pour laquelle on reconnait la roulette en encadrement intérieur des plats et les fers pointillés dorés au dos.


Précieux exemplaire relié aux armes du Comte d'Hoym.

Malgré la page de titre portant la date de 1706, le premier ouvrage a été achevé d'imprimer le 31 janvier 1702 (première édition). Il sort des presses de Gilles Paulus du Mesnil. Il existe une autre édition à la date de 1702 mais sans privilège et en 96 pages et sans mention du nom de l'imprimeur à la fin.

On cite deux tirages portant la date de 1702, celui portant l'adresse de Damien Beugnié et l'autre celle de Clément Gasse. Par ailleurs il est intéressant de noter que le privilège indique que c'est à la demande de la veuve d'Edme Boursault, Michelle Milley, que cette édition a été faite. Elle cède son droit au privilège à Clément Gasse et Damien Beugnié, libraires à Paris. La remise en vente des exemplaires de 1702 par le libraire François Le Breton est peu documentée et indique, de toute évidence, que tous les exemplaires, imprimés à la fin du mois de janvier 1702, n'avaient pas été vendus. Il est également intéressant de noter qu'il y a à la suite de l'Avis au lecteur un assez long errata qui indique que l'édition a du être faite dans une certaine précipitation.

Le volume s'ouvre sur une Epître à Madame de Villequier par Madame Milley veuve Boursault. Ésope à la cour est dédiée à Madame de Villequier, Françoise Angélique de la Mothe-Houdancourt, née en 1650 et épouse de Louis-Marie-Victor d’Aumont, duc d’Aumont et marquis de Villequier. Ce dernier, fervent serviteur de Louis XIV, s’illustra notamment lors de la campagne de Flandre. La sœur de Madame de Villequier, Charlotte-Éléonore de la Mothe-Houdancourt, occupa pour sa part la fonction prestigieuse de gouvernante du jeune Louis XV. Les relations entre Boursault et la marquise apparaissent manifestes : Louis XIV avait envisagé de confier à Boursault la fonction de sous-précepteur du Dauphin, à une époque où la sœur de Madame de Villequier veillait à l’éducation du futur roi. Par ailleurs, c’est grâce à l’intervention du duc d’Aumont que l’auteur parvint à éviter la censure d’une de ses pièces en 1690.

Edme Boursault (1638–1701), poète dramatique bourguignon, connut une certaine notoriété au XVIIe siècle grâce à ses comédies spirituelles, notamment Le Mercure galant, représenté avec succès à Paris. D'abord auteur provincial autodidacte, il devint un homme de lettres apprécié pour son esprit franc et sa vivacité. S'il s'attira l'animosité de Molière et de Boileau, il fit preuve de grandeur d’âme, allant jusqu’à secourir ce dernier malgré leurs querelles passées. Plus à l’aise dans la comédie que dans la tragédie (Marie Stuart, Germanicus), il excella dans les dialogues vifs, les satires (La Satire des Satires) et les pièces à tiroirs. Sa comédie Esope à la cour, suite d’Esope à la ville, fut jouée après sa mort, non sans qu’on en retranche des vers jugés irrévérencieux envers Louis XIV. Dans cette œuvre vive et morale, Boursault peint un Ésope amoureux, aux prises avec les ridicules du monde. Refusant d’entrer à l’Académie par modestie, il laissa aussi des lettres et romans galants comme Les Lettres à Babet ou Artémise et Poliante. Son théâtre complet fut publié en 3 volumes en 1725 et 1746.






Esope à la cour fut représentée pour la première fois après sa mort, en 1701.

« Esope à la cour, en cinq actes, fut représentée après la mort de Boursault, en 1701 (représentée pour la première fois le 16 décembre 1701 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain - Boursault étant mort le 15 septembre). Boursault l’avait écrite aussitôt après ‘Esope à la ville’, mais son sujet la fit interdire par la censure. Quand finalement l’autorisation de la faire représenter fut accordée, l’auteur était mort. Dans cette comédie, Esope a réussi à se faire admettre à la Cour, et naturellement, il trouve matière à exercer son ironie et sa sagesse à l’égard des innombrables côtés ridicules et des vices des courtisans. Montesquieu a déclaré qu’après avoir assisté à la représentation d’Esope à la Cour, il éprouvait le besoin de devenir un homme de bien. » (in Dictionnaire des Œuvres, II, 684).

« Cette œuvre, d’une haute portée, ne fut représentée que le 16 décembre 1701, après la mort de l’auteur, ce qui empêcha celui-ci d’y mettre la dernière main [...] » (V. Fournel, Les contemporains de Molière, p.95).

Localisation des exemplaires : un exemplaire semblable au nôtre mais portant l'adresse de Clément Gasse et la date de 1702 est présent à la Bibliothèque nationale de France (département Littérature et art, cote Yf-8432).


Le second ouvrage : Les Fables d'Esope, comédie, publiée ici en 1700, est également une pièce de théâtre de Boursault qui signe l'Epître au Duc d'Aumont. Elle porte sur le titre la mention de troisième édition. On trouve à la suite une assez longue Préface qui justifie la pièce et son succès. Il est imprimé à la fin de la préface : le prix est de quinze sols relié en parchemin. De ce livre on connait même un quatrième édition qui date de 1724 et qui a été donnée par le libraire Nicolas Le Breton. La première édition a été achevée le 18 mars 1690 (A Paris, chez Théodore Girard).

"[...] En 1690, après quelques jours d’hésitations, la pièce avait connu un succès foudroyant. Ces hésitations, comme d’ailleurs son succès, dérivent de l’emploi innovateur de fables poétiques insérées dans le texte de la comédie. Boursault avait osé se mesurer avec La Fontaine et avec ses successeurs tels que Furetière et Mme de Villedieu. Mais il visa en outre à créer, au moyen de ces fables, un type de comédie plus nettement moralisateur que la comédie moliéresque. Finalement, comme le souligne M. Allott dans son introduction, le dramaturge renouvelle l’image d’Ésope. En partie ce renouvellement s’opère par des anachronismes voulus : le fabuliste ancien boit du café sur scène ! Plus sérieusement, Boursault rejette l’Ésope ridicule évoqué dans la fameuse biographie de Planude (traduite par La Fontaine, entre autres) ainsi que l’Ésope galant qui fit son apparition dans le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Nous sommes maintenant en présence d’un philosophe presque voltairien qui regarde d’un œil désabusé les folies de la société contemporaine. Cette édition intéressera en même temps les historiens du théâtre et tous ceux qui veulent apprécier les fortunes littéraires de la fable ésopique." (E. Boursault, Les Fables d’Ésope, comédie (1690). Édition critique par Terence Allott, textes littéraires (LXVII), Exeter, G. B., 1988 [compte rendu]).










Provenance : exemplaire de la prestigieuse bibliothèque du Comte d'Hoym (1694-1736), ambassadeur de Saxe-Pologne en France et célèbre bibliophile, relié à ses armes (OHR, 672) et ayant été vendu lors de la vente de sa bibliothèque en 1738 (n°2286). "Le comte d’Hoym fit travailler les plus grands relieurs de son temps (Padeloup, Boyet, etc...) pour créer une bibliothèque exemplaire. Poursuivi pour malversations financières, Hoym se suicida." (Pierre Berès, 1ère vente, 2005)  ; de la bibliothèque de St Geniès avec ex libris ; de la bibliothèque P. Gransdire avec ex libris.

Bel exemplaire très bien conservé dans sa reliure commanditée par le Comte d'Hoym, l'un des plus grands bibliophiles de la première moitié du XVIIIe siècle.

Prix : 3 500 euros

jeudi 19 juin 2025

Les Oeuvres de Monsieur de Montreuil. A Paris, chez Claude Barbin, 1666. 1 fort volume in-12. Edition originale. Lettres et poésies diverses. Reliure plein veau brun. Très frais. Bel exemplaire en condition d'époque. De la bibliothèque de Bernard de Noblet (1667-1754) avec ex libris armoirié.


MONTREUIL (Mathieu de)

Les Oeuvres de Monsieur de Montreuil.

A Paris, chez Claude Barbin, 1666

1 fort volume in-12 (153 x 95 mm | Hauteur des marges : 147 mm) de (14)-629-(1) pages, avec un portrait de l'auteur en frontispice.

Reliure strictement de l'époque plein veau brun, dos à nerds orné aux petits fers dorés, tranches mouchetées de rouge. Usures à l'extrémité des coiffes. Reliure et intérieur très frais. Papier bien blanc. Très beau tirage du portrait d'après Picart et daté de 1665.



Edition originale.

Il est intéressant de noter que ce volume a été publié la même année (et au même moment) et chez le même libraire que les Oeuvres de Molière (édition en 2 volumes in-12 parmi les plus prisées aujourd'hui, fameuse première édition collective imprimée du vivant de Molière). Les Oeuvres de Mathieu de Montreuil ont été achevées d'imprimer le 1er avril 1666 en vertu d'un privilège royal accordé au libraire Claude Barbin le 6 mars 1666. Le privilège a été partagé par Barbin avec les libraires Thomas Jolly, Louys Billaine, Charles de Sercy et Guillaume de Luyne. Pour cette édition de 1666 des Oeuvres de Molière, Gabriel Quinet reçut un privilège le 6 mars (même jour que pour Montreuil) de cette même année, qu’il partagea avec sept autres libraires, dont Charles de Sercy et Louis Billaine. On voit donc que pour le public, les Oeuvres de Montreuil connurent, au jour près, le même processus éditorial que la première édition collective des Oeuvres de Molière. Mais quand le temps décide des succès ... Molière est devenu notre grand auteur du théâtre national français quand Mathieu de Montreuil est tombé dans l'oubli.

Les Oeuvres de Mathieu de Montreuil contiennent en première partie des lettres adressées à divers correspondant(e)s dont la marquise de Sévigné. A la suite se trouvent des poésies diverses (Stances, Madrigaux, Epigrammes, Sonnets, etc).



Octave Uzanne tenta de tirer de l'oubli complet ce petit poète galant des Ruelles en republiant à petit nombre ses Poésies en 1878 (Paris, Librairie des Bibliophiles, Jouaust). Octave Uzanne écrit : "Le commerce des femmes est, dit-on, la meilleure école de la politesse et des belles manières. Les quelques écrivains qui se sont façonnés dans ce milieu délicat et charmant en ont conservé, pour la plupart, un charme expressif, qui semble avoir en même temps poli, arrondi et amenuisé leur style, tout en donnant à leur langage une forme plus relevée, un sens plus subtil, une tournure plus exquise, des grâces plus vives et plus soudaines. Nous trouvons à intervalles assez rapprochés, dans notre histoire littéraire, des exemples à l’appui, le plus souvent chez certains tempéraments de poètes doués d’une pléthore amoureuse — d’une sorte d’inquiétude d’amour dont ils paraissent étouffer. Sensuels, voluptueux, coquets à l’extrême, ces mourants raffinés ne chantent que pour leurs maîtresses; ils se pâment à l’envi aux pieds de leurs divines, de leurs cruelles ou adorables amantes, et l’on perçoit que dans cette sensibilité agissante, assez constants pour ne pas être fidèles, toutes les femmes peuvent acquérir du crédit sur leur cœur. La galanterie, qui est fille du désir de plaire, épand dans leurs œuvres mignardes une tendresse, une ardeur, une passion languissante et rythmique qui captivent et bercent mollement le lecteur: aussi peut-on dire qu’ils sont les plus gracieux modèles de notre poésie française, dans le sens littéral du mot, lorsqu’ils ne tombent pas dans l’affectation en courant après l’esprit, ou dans l’afféterie en recherchant les subtilités et les finesses. Mathieu de Montreuil fut, au XVIIe siècle, le parangon de ces aimables soupirants d’office, de ces galants fieffés, comme on disait alors; ses petites poésies légères et émues ne sont tissées que des bagatelles du cœur. On y trouve quelquefois du fade, de l’extravagant et du faux brillant; mais il y meurt si uniquement, il s’y laisse voir sous des dehors si séduisants; ses airs, ses façons, ses pensées et ses pointes ont une allure si tendre et si personnelle; il sait si bien mitonner les plaisirs dans ses moindres badinages, et si éloquemment luxurioser sa flamme, qu’on ne saurait lui opposer un rival dans cet art inné du madrigal, dont nous nous plaisons à le désigner comme maître. [...] Montreuil fut donc abbé, mais abbé à la manière de Marigny, de Ménage et de tant d’autres écrivains. Il s’engagea, mais sans se lier, dans les ordres sacrés; il en porta l’habit et en toucha les bénéfices, rien de plus. Il fut abbé, pour tout dire, mais ne fut pas prêtre. C’était un charmant abbé du reste: mondain, dameret, galant, coquet et épicurien; inconstant par nature, amoureux par tempérament et madrigalier par amour. Il changeait de séjour comme de maîtresse, et s’attardait aussi peu dans une ville que dans un cœur. C’était un homme-colifichet, comme on eût dit au siècle dernier; mais en même temps il avait une allure de mousquetaire empanaché, brave et hardi, portant crânement son épée — car il était abbé d’épée — et courant les aventures comme un Aramis. Son histoire est toute d’amour, comme celle d’une femme: c’est l’histoire d’un papillon papillonnant et bel esprit, qui ne meurt que pour renaître, mais qui meurt amoureusement, languissamment, avec mièvrerie, les yeux noyés de voluptés et voilés de désirs. Aimer et madrigaliser, voilà son unique préoccupation, sa seule ambition. La politique et les cabales le laissent froid et souriant. Sous la Fronde, il aime: c’est toute sa profession de foi; il n’est ni pour le Roi des Halles, ni pour le Coadjuteur, ni pour Mazarin; il est contre les maris et pour leurs femmes. Que lui importe la guerre civile, à ce sublime égoïste ? [...] Montreuil est quelquefois peu correct en son style; il est souvent négligé et d’une assez grande hardiesse d’expressions; il dira que « son âme est dédupée des charmes amoureux »; mais en dépit de ces défauts, il sait rester toujours folâtre, aimable et plaisant. On a essayé d’insinuer qu’il imitait Voiture dans ses lettres: il n’en est rien. Nodier, à ce sujet, s’écrie quelque part: « Montreuil a souvent l’élégance de Voiture, mais avec beaucoup moins d’affectations et de manières; la nuance qui les sépare est délicate, mais elle est sensible et vraie: Montreuil, c’est Voiture naïf; il paraît trouver tout naturellement ce que l’autre prend peine à chercher. On croirait que Voiture court après l’esprit et l’esprit après Montreuil. [...] Notre sceptique abbé se tint parole: il fut toujours paresseux et sensuel. Les affaires de son cœur lui furent toujours plus chères que celles de son esprit, et il avoua avoir toute sa vie mieux écrit pour une femme qu’il aimait que pour un homme qu’il eût pu estimer. « La gloire ne me touche pas, écrit-il encore à son ami Ménage; j’aime mieux le repos, quoiqu’il soit obscur et qu’elle soit brillante. Le repos pourtant, c’est mal parler, car je ne suis pas oisif: je veux dire le plaisir. Je ne sçay d’où cela vient, je l’ay toujours aimé, et je ne voy pas d’apparence que je puisse me résoudre à le jamais haïr. Ce n’est pas qu’il ne m’ait joué de fort mauvais tours: il m’a fait rompre dix fois avec ma fortune; mais je luy pardonne: il m’a fait renouer cent fois avec ma maistresse, que j’aime beaucoup mieux qu’elle.» [...] Montreuil, à Paris, se lia avec la meilleure société. Il ne fit que passer à l’hôtel Rambouillet, mais assez gracieusement pour devenir l’ami de la marquise de Sévigné. [...] « L’an 1691, et le vingt et unième du mois d’aoust, a été enseveli dans cette église Saint-Sauveur M. Mathieu de Montreuil, mort le même jour, âgé d’environ quatre-vingts ans, natif de la ville de Paris. Présents, etc. » »" (Préface)








Si Octave Uzanne ne s'est intéressé qu'aux poésies de Montreuil, ses lettres sont aujourd'hui un témoignage précieux pour l'histoire galante et littéraire du Grand Siècle.

Provenance : de la bibliothèque de Bernard de Noblet qui s'est marié une première fois en 1695 puis en secondes noces en 1718. Bernard de Noblet, Marquis de Noblet d'Anglure, Comte de la Clayte &c. ancien Capitaine de Cavalerie dans le Régiment de Montgommeri, a été pourvu de l'Office de Lieutenant des Maréchaux de France au Bailliage de Mâcon par Lettres du 5 Juin 1701 (notre ex libris date de 1701 ou peu après donc). Héraldique : D‘azur au sautoir d'or. Supports : deux licornes regardantes, couronne comtale. Il meurt en 1754 à l'âge de 87 ans en son château de La Clayette en Saône-et-Loire (Brionnais), province de Bourgogne (il était né vers 1667). Voir : La famille de Noblet d'Anglure, de La Clayette, de Chénelette, etc., d'après l'Armorial général de la France (d'Hozier, 1742) ; La famille de Noblet, d'après l'Armorial historique de Bresse et Bugey (E. Révérend du Mesnil, 1872) ; La généalogie de la famille de Noblet, les branches de La Clayette et d'Anglure d'après le Grand Armorial de France.











Bel exemplaire en reliure de l'époque.

Prix : 950 euros

mercredi 18 juin 2025

Emile ZOLA | L'OEUVRE | Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Paris, G. Charpentier et Cie, 1886 [Typographie Georges Chamerot, Paris] 1 volume in-18. Reliure bradel demi-maroquin vert sombre Art Déco (Bayard, Lyon). Edition originale sur papier courant de très belle qualité (vélin satiné sans rousseurs). Bel exemplaire.



Emile ZOLA

L'OEUVRE par Emile Zola. Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire.

Paris, G. Charpentier et Cie, 1886 [Typographie Georges Chamerot, Paris]

1 volume in-18 (19,3 x 12,5 cm) de (4)-491 pages.

Reliure bradel demi-maroquin vert sombre, dos strié de filets à froid verticaux avec au centre le titre doré en long, plats de peau de vélin véritable, doublures et gardes de papier vert et or fait main. Relié sur brochure à toutes marges, non rogné, les deux plats de couverture ont été conservés (sans le dos) en superbe état. Reliure non signée mais une note manuscrite au crayon dans un exemplaire avec une reliure identique indique que la reliure est de Bayard à Lyon (vers 1930). Reliure en parfait état et très originale dans le goût typique Art Déco. L'intérieur du volume est remarquablement frais, imprimé du début à la fin sur un beau papier vélin fin satiné, absolument sans aucune rousseur.

Edition originale.

Celui-ci, un des exemplaires sur papier ordinaire du premier mille sans mention (un des 1000 premiers exemplaires imprimés).

Exemplaire remarquable imprimé sur beau papier vélin fin satiné absolument sans rousseurs. Ce qui en fait, de fait, un plus bel exemplaire qu'un exemplaire sur grand papier (il faut souligner et insister sur cet état très rare).

Il a été fait un tirage sur grands papiers à 175 exemplaires sur Hollande et à 10 exemplaires sur Japon (non mentionnés par Vicaire).

A noter également que notre exemplaire est très grand de marges (plus grandes que les marges d'un exemplaire sur Hollande avec lequel nous avons pu comparer).



Il s'agit du 14ème opus de l'épopée naturaliste des Rougon-Macquart publiés entre 1871 et 1893. La première livraison du Gil Blas est du 23 décembre 1885, la dernière sera celle du 27 mars 1886, et Zola mettra un point final à son roman le 23 février 1886 ("Mon cher Céard, je n'ai fini L'Oeuvre que ce matin. Ce roman où mes souvenirs ont débordé, a pris une longueur inattendue [...]. M'en voici délivré, et je suis bien heureux, très content de la fin, d'ailleurs.", lettre à Henry Céard). Le roman est aussitôt publié en volume, chez Charpentier, en mars 1886.

Dans le cadre de son cycle des Rougon-Macquart, Zola avait prévu de consacrer un roman au milieu des artistes. Il en trace une première ébauche en mars 1885, mais n’en commence réellement la rédaction que le 12 mai de la même année — date qu’il inscrit lui-même sur le manuscrit. Comme à son habitude, entre l’esquisse initiale et l’écriture, Zola mène une enquête approfondie et rassemble une abondante documentation. Il confie cependant à Van Santon Kolff, dans une lettre datée du 6 juillet : « C’est toute ma jeunesse que je raconte, j’y ai mis tous mes amis, je m’y suis mis moi-même. » Zola, en effet, fréquente depuis le collège d’Aix-en-Provence son ami Paul Cézanne. Grâce à lui, il pénètre les cercles de peintres novateurs, partageant leur ambition de renouveler profondément l’art, de créer une peinture véritablement "moderne". Pourtant, il serait réducteur de considérer L’Œuvre comme un simple roman à clef, bien que Cézanne se soit senti visé en se reconnaissant dans le personnage de Claude Lantier. Les personnages comme les tableaux évoqués dans le roman sont en réalité des figures composites, nées du croisement entre souvenirs personnels, observations documentées et imagination romanesque. Pour enrichir ses réminiscences, Zola sollicite Antoine Guillemet, qui lui fournit volontiers des notes sur les marchands et les collectionneurs d’art (lettre du 20 avril 1885). L’écrivain arpente également longuement les rues de Paris, attentif aux jeux d’ombre et de lumière, aux tonalités de la ville, autant d’éléments qui nourriront des descriptions picturales dans le roman. Par la force des mots, Zola cherche à rivaliser avec le pinceau des artistes rassemblés sous l’étiquette de l’école "de plein air", qui évoque sans détour le mouvement impressionniste.








L’Œuvre raconte l’histoire tragique de Claude Lantier, un peintre surdoué et impétueux, en quête de l’œuvre parfaite, celle qui captera la vie dans toute sa vérité. Ami de jeunesse de Pierre Sandoz (double littéraire de Zola), Claude appartient à un cercle de jeunes artistes parisiens engagés dans une peinture novatrice, souvent rejetée par le public et les institutions. Marié à Christine, qui lui a donné un fils, Jacques, Claude s’enferme dans son obsession de peindre la vérité vivante, sans compromis. Sa quête de l’absolu devient destructrice : sa toile maîtresse, inachevée, incarne une perfection inatteignable. La mort de son fils et la dégradation progressive de sa relation avec Christine précipitent son isolement. Finalement, acculé, Claude se suicide dans son atelier, au pied de sa toile inachevée.

L’Œuvre est le 14ᵉ volume de la série des Rougon-Macquart, et met en scène Claude Lantier, fils de Gervaise Macquart (L’Assommoir) et frère d’Étienne Lantier (Germinal). Zola explore ici l’hérédité d’une forme de névrose créatrice. C’est un roman plus personnel que les autres de la série, parfois perçu comme un exutoire des doutes de Zola lui-même face à la littérature naturaliste. Zola y règle aussi des comptes avec son ami d’enfance Paul Cézanne, qui se reconnaîtra dans Claude et rompra définitivement avec l’auteur. Le personnage de Pierre Sandoz, quant à lui, est un autoportrait idéalisé de Zola, écrivain stable, organisé, et reconnu.







"[...] Il faudrait prendre chapitre par chapitre, page par page, pour relever toutes les beautés, toutes les trouvailles heureuses, de mots, d'idées, d'observations, de peintures justes, dont Émile Zola a empli ce roman, d'un jet si viril, d'une cohésion si étroite avec le mouvement en avant de la société, d'une si grande et si parlante vibration humaine. Nous nous contenterons d'en indiquer, pour ceux qui ignorent encore le romancier, l'endroit où il décrit, avec toutes les ressources de son talent, le travail de l'artiste, de l'écrivain qui ne vit plus qu'avec son œuvre, ne pense plus qu'à elle, galope toujours et partout par cette obsession du livre en gésine, oubliant tout ce qui ne s'y rapporte pas, n'ayant pas une seconde de calme, de repos, de satisfaction. C'est une maîtresse étude du cerveau en fusion à mettre auprès des plus beaux morceaux de littérature, d'observation et de pensée on n'a pas été plus loin dans l'analyse palpable de soi-même. Dans l'étonnante série des Rougon-Macquart, ce roman tiendra une place spéciale, œuvre de vie et de force, œuvre d'amour et de vérité, qui émotionnera et donnera la note saisissante de toute une portion de la poussée nouvelle de l'Art à travers l'humanité contemporaine. [...]" (compte-rendu par Octave Uzanne, paru dans la revue Le Livre, Bibliographie moderne, livraison du 10 mai 1886 (pp. 227-228). L'avis d'Octave Uzanne sur les romans de Zola a beaucoup évolué entre les premières critiques du Livre de 1880 jusqu'aux dernières de 1889. Ici le ton est sans aucune ambiguïté totalement admiratif du fond et de la forme.



Bel exemplaire joliment relié vers 1930 dans le style Art Déco, ici sur papier ordinaire d'une qualité rarement rencontrée pour cet ouvrage.

Prix : 950 euros

mardi 17 juin 2025

PAUTHIER (Guillaume) | SÂVITRÎ, épisode du Mahabharata, grande épopée indienne ; traduit du sanskrit par M. G. Pauthier. Paris, L. Curmer, 1841. 1 volume in-8 relié plein chagrin vert décoré (reliure de l'époque). Superbe exemplaire.


PAUTHIER (Guillaume)

SÂVITRÎ, épisode du Mahabharata, grande épopée indienne ; traduit du sanskrit par M. G. Pauthier.

Paris, L. Curmer, 1841

1 volume in-8 (20 x 13 cm) de (4)-XII-53-(3) pages. Avec 1 frontispice gravé sur acier, 9  vignettes gravées sur bois dans le texte et 1 faux-titre sur acier intercalé entre les pages 24 et 25. Papier vélin satiné. Rousseurs.

Reliure strictement de l'époque plein chabrin vert, dos à nerfs orné doré, plats décorés d'un encadrement doré rocaille avec encadrement de filets à froid, filet doré sur les coupes, roulette dorée en encadrement intérieur des plats, doublures et gardes de papier marbré, tranches dorées (reliure non signée). Excellent état de conservation de la reliure qui est très fraîche.

Edition originale.


Ce texte a été publié par Léon Curmer pour être publié dans le volume intitulé La Pléiade et qui contient différents textes de différents auteur. Ces textes étaient regroupés en pagination séparée ce qui permettait de les commercialiser séparément.

Notre exemplaire a été luxueusement relié à l'époque.








La légende qui suit forme un des nombreux épisodes du grand poème épique sanskrit intitulé Mahâbhârata, épopée colossale qui renferme plus de deux cent mille vers, et dont l’antiquité doit approximativement remonter à l’âge des épopées homériques. L’auteur présumé de ce poème, ou celui auquel les Indiens l’attribuent, est Vyasa, dont le nom sanskrit signifie « compilateur », et auquel ils attribuent aussi la composition, ou plutôt la rédaction des Pourânas, et même des Védas, les anciennes Écritures indiennes ; ce qui l’a fait surnommer Vêda-Vyasa. Ce grand poète des temps antéhistoriques de l’Inde (l’histoire un peu suivie de l’Inde ne commence guère qu’à l’époque de la domination musulmane ; tous les temps qui l’ont précédée sont encore enveloppés d’épaisses ténèbres, à l’exception de quelques points lumineux que l’érudition moderne a déjà dévoilés à nos regards) ; ce grand poète, dis-je, en considérant les immenses compositions qu’on lui attribue, ne peut être qu’une ancienne personnification du génie poétique indien qui a exploré dans tous les sens les plus vastes domaines de l’imagination et de la pensée humaine, à tel point que l’on est porté à se demander si ces monuments gigantesques de la langue sanskrite, qui nous apparaissent maintenant, ne sont pas les produits d’une civilisation qui a disparu de la surface de la terre, comme ces races d’animaux également gigantesques dont on a aussi récemment découvert les débris. Quoi qu’il en soit de ces impressions — que ce n’est pas ici le lieu de discuter — la grande épopée indienne d’où l’épisode de Sâvitri est tiré offre le tableau le plus complet, le plus vaste, le plus merveilleux des mœurs d’une nation et d’une époque les plus merveilleuses du monde. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère, l’Énéide de Virgile, sont encore considérées de nos jours comme des chefs-d’œuvre qu’il n’a pas été donné aux génies poétiques de tous les âges et de toutes les nations de surpasser, ni même d’égaler ; mais ces compositions, tout admirables qu’elles soient, pâlissent devant les grandes épopées indiennes, comme le Pinde et les Sept Collines devant l’Himâlaya. Il faut que la nature au sein de laquelle vit l’homme, que les phénomènes qui frappent journellement ses regards, que son éducation et ses croyances, aient une bien grande influence sur la pensée et le génie de l’homme pour mettre une si grande différence dans ses œuvres les plus sublimes. Les productions de la nature, comme celles de l’homme, seraient-elles soumises aux mêmes lois dans les mêmes limites du temps et de l’espace ? Le sujet principal du Mahâbhârata est une guerre civile entre les Kauravas, ou fils de Kourou, et les Pândavas, ou fils de Pandou, deux branches collatérales de la race lunaire, pour la possession du trône de l’Inde. Ce poème est divisé en dix-huit Livres ou Sections principales d’une longueur très inégale, qui sont subdivisées en un certain nombre de Lectures, lesquelles se subdivisent encore en Chapitres et en Épisodes, comme celui de Sâvitri. Le merveilleux — mais le merveilleux de la vaste mythologie indienne — joue un grand rôle dans le poème ; l’intervention des dieux en faveur de certains héros, de certains personnages, y est très fréquente. Dans l’Introduction, qui ne ressemble à rien de ce que nous connaissons des épopées européennes, le Dieu Brahmâ, s’adressant à l’auteur du poème, s’exprime ainsi : « Dans le corps entier des anachorètes les plus célèbres par leurs austérités et la sainteté de leur vie, je te considère comme le plus distingué pour la connaissance des divins mystères. J’ai connu la composition métrique dans laquelle, en parlant toujours le langage de la vérité, tu as révélé le divin monde depuis sa première manifestation. Tu as appelé cette composition métrique : composition inspirée, poème (kâvyam) ; c’est pour cela qu’elle sera et restera une composition inspirée, un poème. Il n’a été donné à aucun poète d’égaler les descriptions variées, et les peintures de mœurs domestiques dont il est rempli. » En effet, nul poème ancien ou moderne, nulle conception humaine ne peut être comparée, pour la variété et l’étendue, à la grande épopée indienne. La fameuse guerre de Troie est bien chétive en comparaison des grandes guerres des Bharatides, et l’Olympe grec, tout brillant qu’il est dans Homère, ne peut également se comparer à la cour céleste des dieux indiens nommés Lokapâlas ou gardiens des mondes. Dans l’épopée de Vyasa, tout est conçu dans des proportions si gigantesques pour nous, que notre esprit en est souvent confondu d’étonnement et de surprise. Parmi les nombreux épisodes du poème, d’une nature extrêmement variée, et dont les uns, comme celui de Nala et Damayanti, offrent une curieuse peinture des mœurs indiennes ; dont d’autres, comme l’enlèvement de Draupadî, nous représentent une femme héroïque, bien autrement grande qu’Hélène, restant fidèle aux cinq frères dont elle est l’unique épouse ; dont d’autres enfin, comme la Bhâgavad-Gîtâ, ou le Chant divin, nous révèlent tout ce que la pensée humaine a jamais conçu de plus grand, de plus solennel et de plus sublime ; parmi les nombreux épisodes de ce poème, dis-je, celui de Sâvitri brille comme une étoile chaste et pure dans un ciel orageux, comme un diamant sans tache dans une riche parure. Sâvitri est le plus beau modèle qui ait jamais été présenté du dévouement conjugal. Cette conception n’a aucun analogue dans les épopées les plus célèbres, et le peuple auquel elle appartient, ainsi que l’époque à laquelle elle remonte, la rendent encore plus frappante. Il est vrai que, dans l’Inde, le dévouement de l’épouse pour son mari, qu’elle appelle toujours son seigneur (pati), son nourricier, son soutien (bhartri), est porté, dès les temps les plus reculés, à sa plus haute expression — on pourrait presque dire jusqu’à la barbarie — par le sacrifice volontaire de la veuve sur un bûcher après la mort de son époux, auquel elle ne veut pas survivre. Mais ce dévouement n’est pas réciproque. Nous devons même dire que dans la légende de Sâvitri, ce type si admirable et si pur du dévouement et de l’amour conjugal, le caractère de Satyavân ne répond pas à celui de la jeune femme ; c’est l’amour filial qui domine dans le jeune homme comme d’ailleurs il domine dans les mœurs de toutes les grandes nations orientales anciennes et modernes. Le texte sanskrit de l’épisode de Sâvitrî, publié pour la première fois par M. Bopp, se trouve dans le troisième Livre du Mahâbhârata, page 801 et suivantes, édition de Calcutta. Le texte de cette dernière édition, faite par des pandits de l’Inde, diffère peu de celui donné par M. Bopp, que nous avons suivi de préférence. Nous nous sommes attaché à le rendre en français avec la plus scrupuleuse exactitude, sans nous permettre d’y ajouter ni d’en retrancher la moindre idée, ni même une nuance d’idée, afin que la légende indienne apparaisse au lecteur avec toute sa naïveté et sa simplicité primitives. Les dessins mêmes qui l’accompagnent, ainsi que l’encadrement, ont été copiés fidèlement sur ceux du Bhâgavata-Pourâna, conservé à la Bibliothèque royale de Paris, lequel est un chef-d’œuvre de calligraphie et de miniature indiennes. Dans tous les ornements qui accompagnent cette traduction, l’artiste s’est inspiré de l’art indien, afin que le lecteur européen pût trouver réunies, dans ce court épisode d’une grande épopée, quelques traces de l’art et de la poésie de l’une des plus anciennes, des plus merveilleuses et des plus poétiques nations de l’Orient ! (introduction)







Guillaume Pauthier (1801-1873) était un orientaliste réputé. Il a publié de nombreuses études et écrits sur l’Orient (la Chine, l'Inde, ...), sur les îles Ioniennes, et effectué de très nombreuses traductions dont Marco Polo et Confucius. Il a également traduit Essai sur la philosophie des Hindous de Henry Thomas Colebrooke.

Il est très rare de trouver ce texte aussi joliment relié à l'époque de manière séparée.

Superbe exemplaire.

Prix : 950 euros