[Ursulines – Nouvelle-France (Canada | Québec)] [Par le Révérend Père Charlevoix]
[GUYART ou GUYARD, Marie, dite Marie de l’Incarnation]
Marie Guyart, future Marie de l'Incarnation, naît le 28 octobre 1599 à Tours, en France, dans une famille de la petite bourgeoisie catholique. Ses parents, Florent Guyart, maître-boulanger, et Jeanne Michelet, lui inculquent des valeurs religieuses fortes. Très tôt, Marie se montre d’une vive intelligence et manifeste une profonde inclination pour la prière et la contemplation. À l’âge de 7 ans, elle a une première expérience spirituelle marquante, où elle ressent la présence divine et souhaite consacrer sa vie à Dieu.
En 1617, elle se marie à Claude Martin, un artisan et commerçant spécialisé dans la soie. Le couple vit confortablement, mais leur bonheur est de courte durée : Claude meurt en 1619, laissant Marie veuve à 19 ans avec un fils de six mois, Claude. Dévastée mais déterminée, elle assume seule la gestion de la maison et de l’entreprise familiale.
Malgré son rôle de mère et de gestionnaire, Marie ressent un appel croissant à la vie religieuse. En 1620, elle fait une expérience mystique intense, où elle se sent plongée dans le sang du Christ, qu’elle interprète comme une purification spirituelle. Cet événement transforme sa vie et marque ce qu’elle appelle sa "conversion". Pendant les années suivantes, elle pratique des vœux personnels de pauvreté, chasteté et obéissance, tout en continuant à élever son fils et à aider sa sœur et son beau-frère dans leur entreprise de transport maritime.
Reconnaissant ses talents exceptionnels pour les affaires, son beau-frère lui confie la gestion de son entreprise. Marie se distingue par son efficacité et son éthique, mais son désir de rejoindre un cloître devient irrésistible. Elle décide de renoncer à sa vie séculière, malgré l’attachement profond qu’elle éprouve pour son fils.
En 1631, à 32 ans, Marie entre au noviciat des Ursulines de Tours. Elle quitte son père et confie son fils à sa sœur. Cette séparation est une épreuve déchirante pour elle, mais elle croit fermement répondre à l’appel divin. Son fils, bouleversé, tente de l’empêcher de partir, mais Marie reste fidèle à sa vocation.
En 1633, elle prononce ses vœux et devient sœur Marie de l’Incarnation. Elle se consacre à l’enseignement et à la prière, tout en développant une vie mystique intense, marquée par des visions et des expériences spirituelles.
En 1639, à la suite de visions où Dieu lui montre un vaste pays qu’elle identifie comme le Canada, elle accepte un projet missionnaire proposé par Madame de la Peltrie, une riche veuve désireuse de financer une mission en Nouvelle-France. Avec deux autres Ursulines et quelques Hospitalières, Marie de l’Incarnation quitte la France en mai 1639 pour traverser l’Atlantique. Elles arrivent à Québec le 1er août 1639.
Marie de l’Incarnation fonde immédiatement un couvent, dédié à l’éducation des jeunes filles autochtones et françaises. Elle se consacre à leur formation spirituelle, intellectuelle et pratique, dans un esprit de respect et de dialogue interculturel. Le couvent devient rapidement un centre éducatif majeur en Nouvelle-France. Elle apprend les langues autochtones pour mieux communiquer avec les jeunes filles qu’elle éduque. Elle maîtrise le huron-wendat, l’algonquin et le montagnais. Ses lettres témoignent de son désir de comprendre les cultures autochtones et de transmettre les enseignements chrétiens sans les imposer brutalement. Elle rédige également des catéchismes et des dictionnaires dans ces langues, contribuant à leur documentation et à leur préservation. C'est une femme de lettres prolifique. Sa correspondance avec son fils Claude, devenu moine bénédictin, offre un témoignage unique sur sa vie en Nouvelle-France. Ses lettres décrivent les défis de la mission, les relations avec les autorités coloniales et les peuples autochtones, ainsi que sa vie intérieure mystique. En plus de ses lettres, elle rédige un récit autobiographique à la demande de son fils, où elle raconte ses expériences spirituelles et son parcours religieux. Ce texte est aujourd’hui considéré comme une œuvre majeure de la spiritualité chrétienne du XVIIe siècle. Marie de l’Incarnation continue de diriger le couvent des Ursulines jusqu’en 1670, lorsqu’elle se retire de ses fonctions en raison de sa santé déclinante. Elle meurt le 30 avril 1672 à Québec, entourée des sœurs du couvent. Sa dépouille repose dans le cimetière des Ursulines de Québec.
Marie de l’Incarnation est reconnue comme l’une des figures fondatrices de l’Église catholique en Amérique du Nord. Son engagement envers l’éducation, son respect des cultures autochtones et sa vie mystique ont laissé une empreinte durable. En 1980, elle est proclamée bienheureuse par le pape Jean-Paul II, et en 2014, le pape François la canonise, la déclarant sainte. Elle est aujourd’hui vénérée comme la "Mère de l’Église catholique au Canada".
Pierre-François-Xavier de Charlevoix, né le 29 octobre 1682 à Saint-Quentin dans l’Aisne au sein d’une famille de petite noblesse, fut prêtre jésuite, professeur et historien, auteur de plusieurs ouvrages consacrés au Nouveau Monde, dont la célèbre Histoire et description générale de la Nouvelle-France. De retour en Europe après un long voyage, il publia en 1724, par reconnaissance d’avoir survécu à ce périple, La Vie de la Mère Marie de l’Incarnation, une hagiographie rédigée à l’intention d’un public dévot et dédiée à Louise-Élisabeth d’Orléans, fille du Régent et reine consort d’Espagne. Ce récit, largement inspiré de la biographie de dom Claude Martin, fils de Marie de l’Incarnation, fut rédigé et publié avec une certaine rapidité : son manuscrit, terminé moins d’un an après son retour, reçut l’approbation du censeur ecclésiastique dès novembre 1723. Plus tard, en 1730-1731, Charlevoix fit paraître en deux volumes une Histoire de l’Isle espagnole ou Saint-Domingue, essentiellement composée à partir des mémoires du père jésuite Jean-Baptiste Le Pers, qu’il avait retravaillés. Il mourut le 1er février 1761 au collège jésuite de La Flèche, près du Mans.