COURTILZ DE SANDRAS (Gatien)
Mémoires de Mr. d'Artagnan, Capitaine Lieutenant de la première Compagnie des Mousquetaires du Roi contenant quantité de choses particulières et secrettes qui se sont passées sous le Règne de Louis le Grand.
A Cologne, chez Pierre Marteau, M. DCC. [1700] [Hollande]
3 volumes in-12 (159 x 95 mm | hauteur des marges : 152 mm) de (6)-44, (2)-497 et (2)-492 pages. Pages de titre à la sphère armillaire.
Reliure à la bradel cartonnée plein papier raciné, filets dorés aux dos, pièces de titres en cuir rouge, tranches rouges, doublures et gardes de papier blanc (reliures modernes à l'imitation des cartonnages du XIXe siècle). Reliures neuves parfaitement exécutées (les volumes avaient été reliés au début du XVIIIIe siècle mais la reliure était délabrée). Papier légèrement roussi. Une petite brûlure du papier qui est troué avec perte de quelques caractères. Légères taches et petites déchirures. Collationné complet.
Intéressant et rare exemplaire avec les trois volumes portant la date de 1700.
On sait que le premier volume seul a été publié sous la date de 1700 à Cologne chez Pierre Marteau. Ce premier volume a 564 pages et une table des matières. Il est imprimé "FIN" à la fin de ce premier volume. Nous avons pu comparer le premier tome de notre exemplaire daté 1701 avec ce premier volume daté 1700. Il s'avère que le tirage des deux volumes est identique en tous points à la coquille près. Seul la page de titre a été changée. On peut donc en conclure qu'il n'y a eu qu'un seul tirage de ce premier volume en 564 pages plus la table et que ce sont les volumes imprimés en 1700 dont seul le titre a été changé. Ce changement s'est opéré pour venir compléter les deux volumes qui ont suivi et portant eux aussi la date de 1701, eux aussi avec table et imprimés avec les mêmes caractères et employant les mêmes ornements. On peut considérer à juste titre cette série en 3 volumes portant la date de 1700 pour les 3 volumes comme étant une contrefaçon de la véritable première édition de ce texte (le premier volume ayant été en réalité imprimé en 1700, certainement à seulement quelques semaines d'intervalle avec les deux suivants).
Un exemplaire que nous avons eu en mains du premier volume en 564 pages et portant la date de 1700 était relié à l'époque avec les Mémoires de Chavagnac dans l'édition de 1700 également. Ce volume particulièrement intéressant, car il rassemble sous une élégante reliure hollandaise de l'époque le premier tome des Mémoires de d'Artagnan, daté de 1700 et comprenant 564 pages avec table des matières, et les Mémoires de Chavagnac, prouvait que ce premier volume des Mémoires de d'Artagnan publié en 1700 avait tout d'abord paru seul (sans les deux volumes qui suivront de près).
La complexité de cette chronologie éditoriale, dont tout est loin d'avoir été démêlé, laisse apparaître d'autres éditions parues sous la date de 1700 et 1701. Il existe ainsi également une édition en trois volumes tous datés de 1700, mais sans table des matières (cet exemplaire), ainsi qu'une autre où seul le premier volume, sans indication de tomaison, est daté de 1700 avec table, tandis que les deux suivants, datés de 1701, comportent aussi une table. L'édition en trois volumes datés de 1700 mais sans table aurait été réalisée ultérieurement, probablement en antidatant les tomes 2 et 3. Un autre tirage de 1700, avec un titre imprimé en noir, est également connu.
Le d’Artagnan historique, celui campé par Courtilz de Sandras et celui de Dumas qui s’en est inspiré ont quelques points communs : tous trois cadets de Gascogne, montant à Paris pour « prendre du service », devenant des mousquetaires courageux et fidèles. Charles Ogier de Batz naît vers 1612 à Castelmore près de Lupiac en Gascogne. Il entre vers 1633 dans la compagnie des mousquetaires, prend le nom de sa mère, d'Artagnan, et le titre de comte. En 1646, les mousquetaires sont licenciés et d’Artagnan entre au service de Mazarin parmi ses « gentilshommes ordinaires ». Sa fidélité au ministre et au roi pendant les troubles de la Fronde lui valent quelques missions délicates, qui révèlent son tact et son humanité, ainsi que des rétributions, comme la charge de capitaine des petits chiens du Roi courant le chevreuil… Lorsque les mousquetaires sont reconstitués, il devient lieutenant puis capitaine-lieutenant de la première compagnie en 1667. Maréchal de camp en 1672, il meurt au siège de Maastricht l’année suivante. (notice Musée de l'Armée).
Gatien Courtilz de Sandras (1644 -1712) suit une carrière militaire entre 1660 et 1679, passant notamment par les mousquetaires gris. Puis il se fait écrivain, rédigeant des mémoires apocryphes, notamment sur d'Artagnan, Mr de Rochefort, mais aussi des chroniques scandaleuses et des ouvrages politiques. Son œuvre reflète les ambitions et les frustrations de l’aristocratie encore féodale tenue en bride par l’Absolutisme. Sa liberté de ton le mènera d’ailleurs à la Bastille où il séjournera de 1693 à 1699. Dumas s’est largement inspiré de ces pseudo–mémoires pour écrire les Trois mousquetaires, Courtils lui fournissant les personnages d’Athos, de Porthos, d’Aramis ou de Milady et de nombreuses anecdotes. (notice Musée de l'Armée).
A propos du véritable d'Artagnan nous avons le témoignage de Madame de Sévigné qui écrit dans une lettre datée du 27 novembre 1664 adressée à M. de Pomponne : "[...] Il faut que je vous conte ce que j’ai fait. Imaginez-vous que des dames m’ont proposé d’aller dans une maison qui regarde droit dans l’Arsenal, pour voir revenir notre pauvre ami [Nicolas Fouquet]. J’étois masquée, je l’ai vu venir d’assez loin. M. d’Artagnan étoit auprès de lui ; cinquante mousquetaires derrière, à trente ou quarante pas. Il paroissoit assez rêveur. Pour moi, quand je l’ai aperçu, les jambes m’ont tremblé, et le cœur m’a battu si fort, que je n’en pouvois plus. En s’approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d’Artagnan l’a poussé, et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées, et a pris cette mine riante que vous connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue ; mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie, quand je l’ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi ; mais je pense que vous n’en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois. [...]" ; puis encore dans une lettre du 11 décembre de la même année 1664 : "[...] Cependant M. Fouquet est allé dans la chambre de M. d’Artagnan : pendant qu’il y était, il a vu par la fenêtre passer M. d’Ormesson, qui venait de reprendre quelques papiers qui étaient entre ies mains de M. d’Artagnan. M. Fouquet l’a aperçu ; il l’a salué avec un visage ouvert, et plein de joie et de reconnaissance ; il lui a même crié qu’il était son très-humble serviteur. [...] À onze heures, il y avait un carrosse prêt, où M. Fouquet est entré avec quatre hommes, M. d’Artagnan à cheval avec cinquante mousquetaires. Il le conduira jusqu’à Pignerol, où il le laissera en prison sous la conduite d’un nommé Saint-Mars, qui est fort honnête homme, et qui prendra cinquante soldats pour le garder. D'après la chronologie avérée de d'Artagnan on sait que celui-ci apporta une lettre de Louis XIV au comte de Bussy Rabutin, cousin de ladite Madame de Sévigné et gouverneur du Nivernais, à la Charité sur Loire, à la date du 29 mars 1652.
C'est sur l'édition de 1704 des Mémoires de d'Artagnan qu'Alexandre Dumas père s'est penché pour rédiger ses Trois Mousquetaires (1844) et sa suite Vingt ans après (1845). "Lors d’un voyage à Marseille où son ami poète Joseph Méry réside, Dumas cherche quelque lecture, ne pouvant rester oisif. À la bibliothèque, on lui prête « Mémoires de M. d’Artagnan », une édition de 1704. Quelle ne fut sa fascination pour l’ouvrage ! Sur la route de Paris, Dumas ne lâche pas le livre d’une page, si bien que la bibliothèque de Marseille attend toujours qu’il le rapporte !".
Références : Jean Lombard, Courtilz de Sandras et la crise du roman à la fin du grand siècle, 1980 (PUF) ; Woodbridge, Gatien de Courtilz : Etude sur un précurseur du Roman réaliste France (Puf, 1925)
Bel exemplaire de cette édition primitive rare où les trois volumes portent la date de 1700.
Prix : 2.500 euros