La Môme Picrate. Roman.
Paris, Albin Michel, s.d. (1903) [imprimerie de Crété à Corbei]
1 volume in-12 (19,3 x 13 cm) de (4)-411-(1) pages. Couverture illustrée par J. Wely (premier plat).
Reliure moderne demi maroquin bleu nuit, relié sur brochure, tranches ébarbées, tête poncée. Parfait état. Le premier plat de la couverture illustrée est parfaitement conservé (et sans mention de mille).
Edition originale.
Un des 30 exemplaires imprimés sur papier de Hollande.
Il a été également tiré 10 exemplaires sur Japon.
"Il faut un historien au monde des fêtards qui ne sont pas tout à fait les bohèmes et non plus absolument des gens du monde, de ces êtres qui passent leur vie à s’amuser, qui en sont fatigués, malades, et s’amusent comme on suivrait des enterrements. (Il n’y a que le premier enterrement qui coûte, car c’est généralement celui d’une personne chère, mais les autres… ça roule tout seul, n’est-ce pas ?) Willy a résolu de devenir cet historien du fêtard quand même. Il est le citoyen du Paris noctambule où l’on danse, où l’on boit, où l’on joue et où l’on aime. Il connaît ce sérail, vous en montre les détours et s’il ne permet guère aux imbéciles de reconnaître les endroits où ils se feront plumer, c’est qu’il y ajoute le jeu personnel de ses mots qui suffit à désorienter certain public. La Môme Picrate est une danseuse, une petite Goulue nouveau type dont les dessous multicolores font perdre la tête à un pauvre Breton. Il est à remarquer que cela se passe dans ce roman comme dans une Passade ; or, comme un auteur a une tendance marquée à refaire toujours le même roman ce qui pourrait être un défaut devient ici le contraire. Willy a la Passade dans le sang et dans les doigts. Cette Môme Picrate est la fille de Willy tout seul. Elle est donc bien la sœur de l’héroïne de la Passade. Maintenant la réclame à Maugis et à son bord plat écrase tout ; je sais bien que ça fait des lignes et que c’est très commode de dépouiller son courrier du matin au long d’un chapitre, mais c’est peut-être d’un sans-gêne plus que byzantin.
En somme quand Napoléon désirait entraîner ses soldats vers l’impossible il disait : « Regardez-moi ! » Willy a choisi ce procédé si simple pour entraîner ses lecteurs. Ça me paraît le bon, bien qu’il faille tous les courages pour oser l’employer. N’est-pas le Napoléon de la fête qui veut !" (par Rachilde, in Mercure de France)
"Il y a quelques semaines, nous étions, en littérature aussi bien qu’en politique, plongés dans les délices de la « trêve des confiseurs ». Les livres à scandales ou à audaces s’étaient modestement éclipsés derrière la littérature aimable, reposante et inoffensive des étrennes ; c’est d’ailleurs une tradition, et il ne s’était jusqu’à présent jamais trouvé personne pour manquer de respect à cette trêve des confiseurs.
Malheureusement, Willy était là, et chacun sait que ce diable d’homme a pour principe de ne respecter rien, — surtout des choses respectables — et il s’est imaginé qu’il serait drôle de venir jeter le désarroi dans cette paix universelle et mêler aux douces et bénignes friandises du nouvel an, un peu, beaucoup, passionnément de poivre ! que dis-je, du poivre, il a mis du picrate dans nos boîtes de bonbons, et tandis que les éditeurs s’évertuaient à moraliser les petits et les grands en les amusant, Willy paisiblement, lançait la Môme Picrate.
La Môme Picrate ! quel titre seigneur ! et songez qu’il n’est rien auprès de ce qu’il abrite, et que derrière ce mur scandaleux, bariolé, imagé par la silhouette de Willy en galante compagnie, il se passe énormément de choses que je me garderais bien de vous raconter.
Pour moi qui suis, par bonheur un homme plus respectueux que Willy, j’aurais eu scrupule à parler, il y a quinze jours, au milieu des étrennes, de cette terrible et fulminante « Môme Picrate », mais j’ai reculé pour mieux sauter, et il me faut bien aujourd’hui dire un mot de ce livre dont tout le monde parle et que trop de gens lisent.
Eh bien ! il est joli ce livre, et c’était vraiment bien la peine d’anéantir Claudine d’indécente mémoire pour faire renaître la Môme Picrate !
Les gens vertueux n’ont pas gagné au change, et je vous prie de croire — sans y aller voir — que cette danseuse excentrique n’a rien à envier à celle qui l’a précédée dans la carrière : ses lettres manquent d’orthographe, et ses propos sont dénués d’élégance [...]" in La Dernière de Willy par Emmanuel Glaser.
"Armory connaît Jean Lorrain certainement grâce à Rachilde et à sa fréquentation de tous les salons, particulièrement celui de Maggie Clark, peintre divorcée d'un Américain. Il hante les mêmes lieux, les mêmes fêtes « vécues comme des saturnales » que Willy ou Jean Lorrain, ce qui, au début, effarouchent un peu le jeune provincial. Mais très vite, il fait intimement partie de ce milieu : « Cette nuit, réunion parée et travestie chez la marquise de Morny rue George Ville. La belle Otéro, une exquise Germaine Dhéris, d'autres fort jolies. Le comte de Montesquiou – fête très gaie, très libre, très parisienne. Milieu dans lequel je me trouve le mieux. Danses lascives, pantomimes modernes. La vie de Paris. Le souper parmi les fleurs, la bataille de roses. Je vivais ! » Ce milieu lui inspire un roman, En débauches (avec des illustrations de l'auteur), qu'il dédie entre autres à Willy : ce texte qui décrit le Paris du « vice » sans citer de noms ne rencontre aucun succès, par contre celui que Willy fait paraître l'année suivante ne passe pas inaperçu !
Car Willy, après avoir publié fin 1903 La Môme Picrate en collaboration avec Armory (« Voulez-vous La Môme Picrate ? C'est massif. Et cul ! »), sort quelques mois plus tard En Bombe. Il n'a pas hésité à y mettre 100 photos de lui et de ses amis et à y parler de son entourage sous des pseudonymes transparents : si Willy est Maugis, Rodolphe de Kernadeck est bel et bien Armory. Celui-ci en est catastrophé : « Je figure dans un livre quasi pornographique de Willy aux côtés du maître (!). Et on me déclare perdu, foutu, avili (à Willy plutôt) taré définitivement. La gaffe est énorme c'est vrai ; je ne m'en console pas. Me relèverai-je de cela ? Oubliera-t-on ces images déshonorantes ??? »
Mais le désir de notoriété de Willy a été le plus fort : « Rachilde, dans son compte-rendu de La Môme Picrate paru la même année qu'En Bombe, souligne ce besoin de publicité de Willy, elle y voit le bon moyen de réussir, mais cette mise en scène de Maugis/Willy lui paraît nécessiter bien du courage. Elle semble prévoir la dangerosité de cette course à la popularité, de cette surexposition médiatique. »" in Antisémitisme et homophobie. Clichés en scène et à l'écran, XIXe - XXe Siècles, par Chantal Meyer-Plantureux.
De Chantal Meyer-Plantureux
Le libraire a lu La Môme Picrate, de A à Z, en passant par Q !
Tous les libraires ne lisent pas intégralement les livres qu’ils présentent à leur aimable clientèle ; mais celui-ci avait un air d’envie, un air de désir, un air 1900, qui m’a donné l’envie d’aller jusqu’au point final.
Il faut bien l’avouer : beaucoup de romans de cette époque nous tombent aujourd’hui des mains par inanition intellectuelle trans-temporelle. Eh bien, La Môme Picrate se lit ! Dire qu’elle se lit bien serait une coquetterie de style ; mais elle se lit, et ce n’est déjà pas si mal.
Willy — aidé de ses co-écrivains plus ou moins définis, Curnonsky et Armory — donne dans un argot parisien de faubourg, savoureux et piquant. Des bals populaires aux cabarets enfumés, des gargotes aux asiles d’aliénés, tout y passe à vive allure, pour que le lecteur ne s’ennuie pas. On bute parfois — souvent — sur des mots néologisés ou franchement propres (sales) à la langue verte chère à Willy ; mais cela passe, cela installe l’ambiance, cela plante l’époque et le ton. La Môme Picrate, danseuse au cœur d’artichaut, n’a pas eu la belle vie : un père alcoolique, une mère délaissante. Pourtant elle trace sa route entre froufrous et gargotes, entre deux (ou trois, ou quatre) amants. Elle tombe vive dans le panneau ! Willy ne la peint pas en victime, mais en jouisseuse fêtarde, une fille du pavé qui espère… espère quoi ?
Les hommes autour d’elle bourdonnent, festoient, se grisent d’eux-mêmes. Et la fin du roman laisse la porte ouverte à un avenir qu’on n’imagine jamais vraiment comme on le rêverait. (NDLR — Ce roman publié en 1903 chez Albin Michel, signé Willy, garde encore un parfum de trottoir littéraire et de gouaille montmartroise. À lire pour le charme d’un temps révolu et pour son style typique.)
Bel exemplaire bien relié imprimé sur papier de Hollande.
Prix : 850 euros















