mercredi 16 avril 2025

Andréa de Nerciat | Félicia ou mes fredaines. [La faute en est aux Dieux qui me firent si folle]. Sans lieu, sans nom, 1784. 4 volumes in-16 brochés (époque). Nouvelle édition peu commune. Tout comme Les Liaisons dangereuses (1782), Félicia peut être lu comme un bréviaire — ou mieux, une bible — du libertinage. Bon exemplaire conservé dans sa brochure d’origine, de cette édition peu commune.


Andréa de Nerciat (André Robert)

Félicia ou mes fredaines. [La faute en est aux Dieux qui me firent si folle].

Sans lieu, sans nom, 1784.

4 volumes in-16 (132 x 93 mm), brochés de (4)-107-(1), 121-(3), 137-(3) et (4)-119-(3) pages. Collationné complet. Couvertures de papier rose de l’époque, exemplaire non rogné avec témoins de coupe. Manques de papier aux dos, quelques salissures et défauts de fabrication (notamment dans le premier volume où une imperfection du papier a entraîné la perte de quelques lettres).

Nouvelle édition peu commune.


Ce roman libertin d’Andréa de Nerciat — un Bourguignon salé dès la naissance — a connu de nombreuses réimpressions dans les dernières décennies du XVIIIe siècle et au début du XIXe, malgré une condamnation à la destruction. Dutel, dans sa Bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en français entre 1650 et 1880, en recense pas moins de 17 éditions entre 1775 et 1869.

Il attribue la première édition à une impression sans date ni lieu (Amsterdam ?), en deux volumes de 221 et 256 pages, probablement en raison des erreurs de pagination relevées dans les exemplaires connus.








Félicia ou Mes Fredaines concentre l’essence du romanesque libertin : un subtil dosage d’humour, de sensualité et d’élan romanesque. Le tour de force de Nerciat est de livrer une parodie jubilatoire tout en construisant un véritable roman d’aventures, avec ses mystères, ses coïncidences improbables, ses révélations théâtrales… Aux côtés de Margot, Thérèse ou Juliette, Félicia s’impose comme l’une des plus grandes courtisanes de la littérature du XVIIIe siècle.

Chez Nerciat, nul besoin de crudité ou de vocabulaire brutal : les métaphores délicates, les allusions transparentes, les images galantes forment une prose sensuelle, allègre et raffinée. Grimm résumait bien l’esprit de l’ouvrage dans sa Correspondance littéraire : « Il est peu de catéchismes de libertinage et de corruption plus naïfs et plus effrontés que ce nouveau roman. On n’y trouve pas même l’apparence d’un sentiment moral. C’est l’histoire d’une jeune personne qui, depuis l’âge de quatorze ans, se livre sans scrupule à tous ses goûts, a longtemps, sans le savoir, le bonheur d’être la maîtresse entretenue de son père, de donner à son frère, sans le connaître, les premières leçons de plaisir, etc., et se voit récompensée enfin de tant de sagesse et de vertus par toutes les faveurs qu’on peut attendre d’une destinée heureuse. »

André-Robert Andréa de Nerciat (Dijon, 1739 – Naples, 1800 ou 1801 ?) — ancien capitaine des gendarmes du roi à Versailles — demeure l’un des plus grands romanciers érotiques européens, capable d’exprimer le libertinage le plus osé sans jamais tomber dans la vulgarité. En 1789 parurent ses Contes saugrenus, puis en 1792 Mon noviciat et Monrose, attribués à juste titre à Nerciat malgré les doutes de Wolff. Durant la Révolution, il mena une existence trouble d’agent double : fonctionnaire de la République qu’il méprisait, il aurait joué un rôle d’informateur douteux. Il restait cependant soucieux de son œuvre, publiant en 1793 Les Aphrodites et vendant le manuscrit du Diable au corps, publié à titre posthume à Mézières en 1803. Tandis que ses fils étaient boursiers de l’Égalité, le citoyen Nerciat, lui, exerçait la profession équivoque de policier.

Le roman se présente comme le récit à la première personne de Félicia, une jeune femme éprise de plaisirs, qui retrace sa vie pleine d’aventures sentimentales et galantes. Abandonnée dans sa petite enfance, elle est recueillie par Sylvina et Sylvino, un couple libertin qui l’élève dans une atmosphère d’audace et de liberté. Déflorée par le chevalier d’Aiglemont, elle devient la maîtresse, souvent entretenue, de figures en vue : un évêque, Sir Sidney, le jeune Monrose… Certaines séquences sont particulièrement soignées, comme une satire vive des mœurs provinciales ou un chassé-croisé amoureux complexe, menant à une série de révélations qui occupent le dernier tiers du roman et en relancent le rythme.








Roman emblématique du libertinage fin XVIIIe, Félicia aborde avec légèreté les grands thèmes du genre : critique des dévots, éloge du plaisir affranchi de toute morale, apologie d’un hédonisme sans entraves. L’inceste involontaire y est traité sans pathos, dans une atmosphère de licence joyeuse. Félicia expose son « système », fondé sur la quête continue des plaisirs de l’amour, libérée des contraintes de la fidélité. Sa sensualité guide chacun de ses actes dans un monde où rien ne doit limiter le désir. L’écriture, explicite sans jamais être crue, délaisse le vocabulaire anatomique au profit d’un érotisme fluide, sans violence ni domination : une véritable utopie du plaisir partagé, aux antipodes de Sade.

"Déjà les mains avaient beaucoup trotté, déjà les bouches et les tétons avaient essuyé mains hoquets amoureux, quand on se leva de table. On y laissa les deux Italiens, qui ne voulurent point la quitter. Le peu de signes de vie qu’ils donnaient encore n’était que pour demander à boire et pour jurer qu’ils ne bougeraient point de là tant qu’il y aurait une goutte de vin dans la maison. La signora Camilla garda son ivrogne de père et fit demeurer un valet pour le secourir en cas d’accident. Tout le reste de la compagnie, à l’exception du chevalier qui venait de disparaître, passa de la salle à manger au salon, dont les deux battants demeurèrent ouverts… O pudeur ! que tu es faible quand Vénus et Bacchus se livrent à la fois la guerre ! Mais est-il absolument impossible que tu leur résistes ? Ou n’es-tu pas plutôt charmée de ce que la puissance connue de leurs forces justifie ton heureuse défaite ? J’y pense encore avec étonnement. À peine eûmes-nous mis le pied dans le salon que l’un de nos officiers, défié par les regards lascifs de Sylvina et perdant toute retenue, l’entraîna vers l’ottomane et se mit à fourrager ses appas les plus secrets. Elle ne fit qu’en rire. Bientôt, l’agresseur enhardi par l’heureux succès de son début, s’oublia jusqu’à manquer tout à fait de respect à l’assemblée. Sa partenaire, égarée, transportée, partageait ses plaisirs avec beaucoup de recueillement. Déjà l’Italienne mariée suivait son exemple à deux pas de là, dans les bras de l’autre officier, non moins effronté que son camarade. Argentine courait se cacher dans les rideaux des fenêtres pour ne pas voir ces groupes obscènes ; monseigneur l’y suivait pas décence et par tempérament. Tout le monde, occupé de la sorte, oubliait mon nouvel amant et moi, qui demeurions médusés au milieu du salon… Un regard expressif fut le signal de notre fuite. Ma main tomba tremblante dans celle du beau Fiorelli. Nous volâmes à mon appartement, où je m’enfermai, bien résolue à ne rejoindre la compagnie, quoi qu’il arrivât, qu’après avoir bien fait à mon aise, avec méditation, ce que je venais de voir faire aux autres dans le désir de la brutalité." (Extrait de Félicia ou mes fredaines).

Tout comme Les Liaisons dangereuses (1782), Félicia peut être lu comme un bréviaire — ou mieux, une bible — du libertinage.

Edition non citée par Dutel. Elle n'est pas illustrée.

Bon exemplaire conservé dans sa brochure d’origine, de cette édition peu commune.

Prix : 1.250 euros