lundi 24 mars 2025

Le Système Social ou Principes Naturels de la Morale et de la Politique (1795) par le Baron d'Holbach. Nouvelle édition parue pendant la tourmente révolutionnaire. Ouvrage condamné au feu dès 1773, saisi et mis à l'index. Bel exemplaire en reliure romantique.



HOLBACH, Baron d' (Paul Henri Thiry) | Joseph SAIGE (de Bordeaux) | Louis de BEAUSOBRE

SYSTÈME SOCIAL OU PRINCIPES NATURELS DE LA MORALE ET DE LA POLITIQUE. De l'influence du gouvernement sur les mœurs.

A Paris, chez Servière, libraire, 1795

2 volumes in-8 (20,8 x 13,5 cm) de (4)-472 et (4)-403 pages.

Reliure demi maroquin olive, dos lisses ornés de fers dorés rocailles; plats de papier texturé bleu nuit, roulette à froid, tranches marbrées, doublures et gardes de papier marbré (reliure romantique typique exécutée vers 1820-1830). Très bon état de l'ensemble. Quelques rousseurs pâles. Beau papier chiffon. Quelques petites manques de papier dans les marges de quelques feuillets (sans atteinte au texte).



Nouvelle édition.

Voici la liste des différents chapitres : Première partie : Origine des idées morales, des opinions, des vices et des vertus des hommes. De la raison, de la vérité et de son utilité. De la Morale Religieuse. De la Morale des Anciens. Des moralistes Modernes. Principes naturels de la morale. Des devoirs de l'homme ou de l'Obligation Morale. Examen des idées des Moralistes sur la vertu. Du Goût, du Bon, du Beau, de l'Ordre, de l'Harmonie en Morale. Des Vertus Morales. Du Mal Moral, ou des vices des hommes, de leurs crimes, de leurs Défauts, de leurs faiblesses. Origine de l'autorité, des rangs, des distinctions entre les hommes. De l'Estime, de la Conscience, de l'Honneur. Du bonheur. Des passions et de leur influence sur le bonheur de l'homme. Examen des idées des Anciens et des Modernes sur le bonheur de l'homme. De la Vie Sociale. De l'Etat de Nature. De la Vie Sauvage. Seconde partie : Principes Naturels de la Politique. De la Société. Du Pacte Social. Des Loix, de la Souveraineté. Du Gouvernement. Origine des Gouvernements. De leurs formes diverses. De leurs avantages et désavantages De leurs réformes. De la liberté. Du Gouvernement mixte. Des Représentants d'une Nation. De la Liberté de Penser. Influence de la Liberté sur les mœurs. Réflexions sur le Gouvernement Britannique. Des intérêts des Princes, ou de la Politique véritable. Des qualités et des vertus nécessaires au Souverain. Causes de l'abus du pouvoir ou de la corruption des Princes. De la fausse Politique. Du Despotisme. De la Tyrannie. De la Guerre. Du Machiavélisme ou de la Perfidie en Politique. Des effets physiques ou naturels du Despotisme. De la Corruption des Cours. Du Gouvernement Militaire. Troisième partie : De l'influence du Gouvernement sur les mœurs. Ou des Causes et des Remèdes de la Corruption. Des vraies sources du mal moral ou de la corruption des mœurs. Influence du Gouvernement sur les Ministres et les Grands d'un Etat. De la corruption des Loix. De la source des Crimes. Influence du Gouvernement sur le Caractère national et sur les talents de l'Esprit. Du Luxe. De la Richesse d'un Etat. Du Commerce. Du Crédit. Des vices de la Société. De l'Education. Des Femmes. De la Félicité domestique, ou du bonheur dans la vie privée. Remèdes des Calamités ou des Vices Moraux et Politiques. Apologie de la Vérité.<

On trouve en plus dans cette édition le Système du Bonheur qui occupe les pages 195 à 332 du deuxième volume, et le Système Républicain (Caton ou Entretien sur la liberté et les vertus politiques, traduit du latin par S***) qui occupe les pages 333 à 400 et dernière). Ces deux textes de sont pas du Baron d'Holbach. Le Système du Bonheur est de Louis de Beausobre. Le Système Républicain est de M. Joseph Saige de Bordeaux (publié en 1770 avec de nombreuses notes intéressantes).









"Il suffirait presque, pour présenter Paul-Henry Thiry, baron d’Holbach (1723-1789) — « le maître d’hôtel de la philosophie », disait Grimm de rappeler que la plupart de ses livres furent condamnés en France par le Parlement et mis à l’index à Rome. Né dans le Palatinat, il vit à Paris, et reçoit chez lui tout ce qui pense alors. Qui est-il ? Wolmar, l’athée vertueux de Rousseau ; mais aussi, selon Voltaire, qui craint pour sa propre royauté intellectuelle, "un diable d’homme inspiré par Belzébuth" ; Frédéric II, prudent, défend contre lui «l’ordre du monde» ; mais Diderot lui sait gré de faire «pleuvoir des brûlots dans la maison du père«. Le baron dérange : il a rompu avec la première génération des Lumières par son athéisme intransigeant et son matérialisme systématique, et sa volonté, partagée par Diderot et la «coterie holbachique», d’une pensée radicalement nouvelle en philosophie, en morale et en politique. C‘est la Nature encore qui doit fonder les règles de la vie en société : non le concept abstrait d’une nature humaine, mais le mécanisme nécessaire des passions, et la balance qui meut les hommes du désir du bien-être à la crainte de la douleur. Le Système social définit une souveraineté qui, issue d’un pacte social et non d’un droit divin, soit l’expression de la volonté générale ; et une morale indépendante de toute religion (naturelle ou positive) produite par la législation : celle-ci, par une juste connaissance des motifs des hommes, doit induire chacun à vouloir aussi le bien d’autrui. L’utilitarisme moral et social rétablit la nature dans ses droits, contre la confédération des prêtres et des rois, lesquels exigent des hommes qu’ils désirent ce qu’il n’est pas dans leur nature de désirer. Le nouveau modèle éthico-politique proposé par d’Holbach a nourri les débats préalables à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; sans doute eut-il une part non négligeable dans cette «révolution horrible» que redoutait Voltaire à la lecture d’un système préconisant le plus grand bonheur pour le plus grand nombre, et le droit des peuples à déposer les tyrans." (Catalogue des Auteurs, décembre 1995. (Christiane Frémont).

"Le Système social tout comme le Système de la nature fut d'abord attribué au gazetier Mustel par les contemporains. L'ouvrage fut saisi en juin 1773, et mis à l'index de l'Eglise en août 1775. En 1822 il sera de nouveau interdit par la police et son édition ordonnée de destruction par un jugement du Tribunal correctionnel de Paris (Le Moniteur universel, 15 mars 1823, 26 mars 1825). L'ouvrage connaîtra en français deux rééditions en 1773 (Londres) et une troisième en 1774 (Londres), du vivant de d'Holbach; cette édition porte en sous-titre par l'auteur du Système de la nature. Une édition paraît encore en 1795 (Paris) sous la Révolution, enfin la dernière édition connue remonte à 1822 (Paris)." (Josiane Boulad-Ayoub).

Il est amusant de constater que notre exemplaire a été relié exactement au moment où cette édition est frappée d'une nouvelle condamnation à la destruction en 1823.







Cet ouvrage est un véritable Vade Mecum du libre penseur. Cette nouvelle édition parait en pleine période révolutionnaire pendant la tentative de maintien de la cohésion sociale de la nation française. L’année 1795 est celle de la fin du radicalisme révolutionnaire. Le pays cherche un équilibre entre les excès de la Terreur et la montée des forces contre-révolutionnaires. Le Directoire tente de stabiliser une République vidée de son souffle révolutionnaire initial, mais les tensions restent vives. On assiste à une réhabilitation de la bourgeoisie, une répression des mouvements populaires, et une volonté de "normaliser" la société. C’est aussi une période de fatigue politique : après des années de guerre civile, de révolutions de palais et de pénurie, le peuple aspire à la paix et à une vie moins tourmentée, même si cela implique un certain retour à l’ordre établi. Le pouvoir devient plus technocratique, moins idéologique, ouvrant la voie à l’ascension d’un homme providentiel : Bonaparte, dont le rôle décisif à Vendémiaire annonce la suite. Les textes réunis ici, notamment ce Système social du Baron d'Holbach, sont réimprimés en cette année 1795 et doivent résonner dans l'esprit des lecteurs portés à penser la suite des évènements.

"L'homme de cour vient étaler aux yeux d'un peuple émerveillé son faste et sa vanité. Il fait trophée de ses vices, qu'il qualifie de bonnes fortunes ; il amuse son oisiveté à corrompre l'innocence crédule : continuellement dérangé par ses dépenses et par son luxe, il trafique de son crédit, fait des affaires, et sans égard pour l'équité, protège celui qui le paie le mieux. Il emprunte, il achète à crédit, il contracte des dettes ; se rit ensuite de la simplicité de ceux qu'il a ruinés, et brave effrontément les pleurs d'une famille réduite à la mendicité. Corrompus par l'exemple de leurs maîtres, témoins et confidents de leurs honteuses débauches, fiers de sa protection, ses valets portent les vices et l'insolence des palais jusque dans les dernières classes du peuple. Le pontife et le prêtre sont eux-mêmes entraînés par le torrent de la perversité publique ; cette religion, dont ils vantent les effets merveilleux, échoue contre les passions et les vices autorisés par la mode. Vous les voyez se conformer au ton du monde ; adopter le faste des grands ; rougir de la simplicité évangélique ; et la même bouche qui déclame contre la corruption du siècle, sollicite souvent des femmes au crime, ou cherche à séduire l'innocence qu'elle devrait fortifier contre les tentations du démon. Le traitant, uniquement fait pour songer à sa fortune, ne connaît d'autre honneur que de s'enrichir promptement. Son état le destine à vivre des calamités publiques. Autorisé dans ses rapines et ses concussions par le gouvernement, sa conscience ne lui fait point de reproches incommodes. L'équité, l'humanité, la sensibilité seraient des qualités déplacées dans un homme qui se destine à s'engraisser de la substance des malheureux. Sa tête ingénieuse n'est occupée qu'à enfanter des projets nouveaux pour dépouiller son pays et redoubler sa misère. Enrichi une fois, il adopte les vices, le faste et le luxe de la grandeur ; il s'illustre par ses repas somptueux, par ses folles dépenses, et par sa magnificence, qui font bientôt oublier à ses concitoyens eux-mêmes que son opulence est le fruit de leurs propres malheurs. Accoutumée de longue main à tous ces affreux désordres, la société n'en est presque plus révoltée. Les hommes les plus pervers excitent bien plus l'envie que l'indignation publique. Ce qu'on appelle la bonne compagnie est composée d'un tas d'hommes, dont la conduite est propre à faire rougir la raison et gémir la vertu. On y trouve d'agréables débauchés, des importants sans nul mérite, des fainéants titrés, des hommes sans honneur et sans mœurs, des femmes sans pudeur, des fats impertinents, que l'usage fait passer pour de très honnêtes gens. Les bonnes mœurs, les vrais talents, la probité, ne tiennent lieu de rien, dans une société frivole et désœuvrée, qui n'a besoin que de perdre son temps, et à qui le désir continuel de s'amuser ne permet pas de rien approfondir. Pour être admis et considéré dans le monde, il ne faut avoir qu'un nom, un titre, un bel habit, un maintien décent, des airs et des manières, du jargon ; on a pour lors tout ce qu'il faut pour se faire désirer, d'ailleurs on est dispensé d'avoir aucune vertu. Lorsque le besoin de s'amuser est devenu le seul lien de la société, on s'embarrasse fort peu de connaître à fond les personnes que l'on fréquente ; l'on ne se rend pas difficile sur le choix de ses amis, et l'on se lie avec quiconque fait espérer quelques instants de trêve avec l'ennui." (extrait pp. 107-110)

Cet extrait, à lui seul, montre combien la Révolution française était déjà en germe dès 1773, et parfaitement théorisée par les penseurs les plus clairvoyants, tel que le fut le baron d'Holbach.

Références : Josiane Boulad-Ayoub, Présentation de la réédition sur l'édition originale de 1773 ; Vercruysse A4 (pour la Première édition, seconde émission) ; Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, vol. 4, col. 622 ; 
Pearson Cushing, Baron d'Holbach : a Study of Eighteenth Century Radicalism in France [...].

Bel exemplaire de cet ouvrage fondamental pour l'histoire des idées au XVIIIe siècle.

Prix : 950 euros